L’accumulation des images et leur lecture en flux sont des thèmes de réflexion très actuels mais théorisés depuis un moment déjà.
Dans son ouvrage paru en 1996, Pour une philosophie de la photographie, Vilém Flusser abordait déjà ces notions :

« A cette force absorbante des images techniques, rien ne peut résister — aucune activité artistique, scientifique ou politique qui ne les prend pas pour but, aucun acte quotidien qui n’aspire à devenir photographie, film, enregistrement vidéo. Car tout aspire à rester éternellement en mémoire et à devenir éternellement répétable. Mais du même coup, toute action perd son caractère historique, pour devenir un rituel magique et un mouvement éternellement répétable. L’univers des images techniques, tel qu’il commence à se profiler autour de nous, se présente comme plénitude des temps, où toutes les actions et toutes les souffrances gravitent perpétuellement. C’est seulement sous cet angle apocalyptique, semble-t-il, que le problème de la photographie acquiert les contours qui lui conviennent. »

En juin 2021, je me rends au Plaza à Genève pour y voir une partie de The Clock, la vidéo de vingt quatre heures de Christian Marclay. Je ne l’avais jamais vu avant ça. Il est à peu près minuit et demie et je me rappelle avoir pensé que le moment était plutôt bien choisi et que je préférais largement en faire une expérience nocturne.
C’est une image qui m’a marqué car absolument tout dans la salle nous donne envie d’y rester indéfiniment.

La puissance de cette vidéo réside dans sa capacité à brouiller la frontière entre le fictionnel et le réel, les superposant alors à cet instant dans un même espace temps. Nous sortons de la posture du spectateur habituel dans une salle de projection.
L’expérience est d’autant plus agréable qu’au bout d’un moment on ne prête plus attention aux films de la même manière : on arrête de les identifier, de se remémorer les titres de ceux que l’on reconnaît, on lâche prise devant l’écran et le flux cinématographique.
Un gros plan sur un téléphone qui sonne, une porte qui claque, la montre au poignet d’un personnage. Hypnotisée par ce que je vois, c’est presque douloureux à chaque fois de se rappeler du passage (rapide) du temps. Parce-qu’en comparaison avec l’expérience de films au cinéma, ce sont deux envies totalement contradictoires. Au cinéma en principe, je n’ai pas envie que le temps me soit rappelé. Dans The Clock, la narration existe sous forme de chronologie morcelée. Il suffit qu’une séquence nous absorbe davantage par rapport à une autre que nous nous retrouvons déjà frustrés de sa disparition pour laisser place à une autre séquence.
J’ai eu un vertige face à cette gargantuesque accumulation de films, me rappelant mon amour du cinéma mais aussi mon sentiment de ne rien en connaître du tout et de me rendre compte de son immensité.

Chaque minute passée devant The Clock me rappelait qu’en parallèle c’était également une minute de ma propre vie qui s’écoulait, la vidéo ayant l’effet d’un memento mori.
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